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25 août 2006

Vive la dérèglementation

( Charlie hebdo Caroline Fourest mercredi 16/08/2006 )

Les télécoms qui rendent fous

Kafka en rêvait, Noos l’a fait.

 Noos, Alice, Freebox, Neuf télécom, Orange, 118218… Depuis leur privatisation, les télécommunications sont devenues un monde barbare, tout droit sorti de l’imaginaire de Kafka, Peuplé de sigle, D’incompétents, de services non fournis et de surfacturations à vous rendre dingue…

Avez-vous noté combien votre vie et celle de votre entourage sont devenus complexes depuis que France Télécom a perdu son monopole et que les télécommunications ont été privatisés ?

 

Avant, c’était simple. Vous aviez un opérateur, une facture de téléphone, une redevance télé, un abonnement Internet et le choix pour votre portable. Aujourd’hui, rien n’est plus stressant que de choisir la formule qui vous permettra d’être connecté au monde par tous les bouts.

Ma mère a essayé la Freebox.

J’ai cru qu’elle allait finir à l’asile, enragée à force d’essayer de joindre une improbable hot line pour faire marcher sa « boite libre ». Rien n’a jamais marché, sauf la facturation.

Ma cousine, qui a suivi toutes les péripéties de ma mère par téléphone portable – le reste ne marchait pas – a choisi Alice. Pour être tranquille. Là, c’est la connexion Web qui a lâché en premier. Au téléphone, qui marchait encore, on lui a expliqué que Orange (ex-France-Télécom), qui avait toujours la propriété des lignes, en profite pour brouiller celles de ses concurrents. Concurrence déloyale ou bobard pour rejeter la faute ur les autres ? Allez savoir…

Noos : entre nous, c’est tragique.

Je n’ai pas pu poser la question par mail à ma cousine, forcement. Ni par téléphone, en fait. Car j’ai oublié de vous dire : je n’ai plus le téléphone depuis que j’ai contracté le super forfait tout compris (télé plus téléphone plus connexion illimitée) de Noos.

Pourtant, tout avait l’air simple dans ce forfait. Pour 49,30 euros par mois, j’allais avoir un téléphone fixe, des chaines de télé à ne plus savoir quoi regarder et une connexion haut débit illimitée. Ca sonnait bien. Le seul problème, c’est que le téléphone, lui, n’a jamais sonné. Un technicien est venu m’installer la nouvelle boite. Elle tient en équilibre, avec des morceaux de ruban adhésif, près de mon bureau. Elle clignote. Mais c’est tout ce qu’elle fait.

Quand il est parti, pourtant, le technicien m’a juré qu’elle finirait par marcher. Il a passé un long moment à tenter de joindre Noos par téléphone pour s’assurer de la connexion, mais Noos était injoignable… Alors il a vérifié la télé – qui marche très bien depuis des années – et il est parti en me proposant d’appeler en cas de problème la hot line (0,34 euro la minute).

Il est parti, et je me sentie très seule. J’ai regardé plusieurs jours de suite la boîte qui clignotait, mais mon téléphone ne marchait toujours pas. Heureusement, il me restait mon ancienne ligne France Télécom, toujours pas expirée, toujours vaillante. Grâce à elle, tous les jours, j’ai appelé la hot line (0,34 euro la minute) pour qu’on m’envoie un autre technicien. J’ai fini par obtenir un rendez-vous. Mais le fameux technicien n’est jamais venu.

Entre-temps, mon état de santé s’est dégradé. A la rigueur, je pouvais me passer de cette ligne fixe (que je payais en doublon avec l’autre) mais pas de mes e-mails. Je préfère largement les mails au téléphone. Ca va plus vite, et se sent moins envahi. Surtout quand vos cent cinquante mails quotidiens n’arrivent plus, parce que toutes vos boîtes ne répondent plus… J’ai senti des spasmes, mais ce n’était pas le cœur, juste l’endroit de

la dépendance. Cette fois, je me suis jetée, fébrile, sur le téléphone France Télécom pour en découdre. J’étais tellement énervée que la première dame n’a rien compris… si ce n’est qu’elle devait me passer son chef.

Lui, il m’a pris de haut d’entrée, m’expliquant que cela arrivait. Mes adresses e-mails avaient été détruites par erreur, mon courrier était perdu depuis des jours, les gens ne sauraient mêmes pas que je n’ai jamais reçu leurs e-m ails, mais lu, il s’en fout. Forcement, il est chef chez Noos. Des crises comme ça, il a dû en traverser un paquet pour être chef chez Noos. Alors, il m’explique d’un ton hautain que le maintien de la même adresse e-mail et du même numéro pour ma ligne fixe est une coutume que Noos n’est même pas obligé de satisfaire…
 « Vous savez ce que c’est qu’une coutume ? Si je vous excisais là, tout de suite, j’inaugurerais peut-être une coutume ! Mais quand on paye pour un service et que l’on ne l’obtient pas, jusqu'à preuve du contraire, cela s’appelle une prestation de service non fournie ou une grosse boulette, comme vous préférez !» J’ai crié tellement fort que le soir mêmes mes boîtes e-mails étaient revenus – sans le courrier du matin, définitivement perdu.

Je me sentais mieux quand même. Ma tension était vaguement redescendue. Mais mon téléphone, lui, ne marchait toujours pas. Pourtant, je n’ai pas eu le courage de rappeler le 0892 020 010 (0,34 euro la minute !): j’avais peur que mon cœur lâche. J’ai abandonné l’affaire. Je payai à la fois pour une ligne France Télécom qui allait s’éteindre et pour une ligne Noos qui n’a jamais voulu s’allumer. Jusqu’au jour où ce qui devait arriver arriva : ma ligne France Télécom a rendu l’âme. Et je n’avais plus de téléphone fixe du tout pour râler.

J’ai voulu appeler d’une cabine le fameux 0892 020 010, histoire de ne pas épuiser mon forfait mobile. « Désolé, mais ce numéro ne peut être joint à partir d’une cabine », a répondu le combiné. Comment font tous les abonnés à Noos dont le téléphone fixe ne marche pas pour appeler une hot line qui commence par un 0892 à 0.34 euro la minute ? De guerre lasse, épuisée, je me suis rendue au magasin Noos de la place de

la république. J’allais enfin avoir un humain en face de moi, sur qui déverser tous mes malheurs. Quand je suis entrée dans la boutique, j’ai senti que cela n’allait pas être aussi libérateur que prévu. Les conseillers en question avaient déjà tellement ramassé qu’ils faisaient une gueule d’enterrement, fermée à double tour, l’air de dire : « si vous croyez être le premier ! Allez-y, gueulez. Cela fait longtemps que j’ai débranché mon abonnement écoute. » D’ailleurs, les deux conseillers étaient pendus au téléphone – visiblement les leurs marchaient - comme si leur vie en dépendait. Surtout, pendant ce temps, les gogos qui faisaient la queue ne leur gueulaient pas dessus.

J’ai pris un numéro pour l’attente, je me suis calée dans un fauteuil, en me promettant de rester calme, lorsqu’un monsieur est entré comme une fusée et m’a grillé dans la file. « Pardon, monsieur, mais il faut prendre un numéro «, lui ai-je dit calmement. Le monsieur est devenu comme fou (c’était sûrement un gars déjà abonné chez Noos) : « Quoi, personne ne m’a dit ! C’est quoi votre problème ? Ca vous dérange la moustache, c’est ça ! » J’ai mis quelques secondes à comprendre : le monsieur était passé avant que j’entre dans le magasin, personne ne lui avait dit prendre un numéro avant de ressortir chercher un document qui lui manquait. Il était maghrébin, et il pensait que ma remarque le visait personnellement. En fait dans son cas, au syndrome bien connu « usé par le racisme » se rajoutais une nouvelle maladie galopante : « usé par Noos ».

Il fallait qu’on se calme. Tous les deux. La raison a pris le dessus in extremis. « Monsieur, calmez-vous. Vous imaginez bien que les numéros sont là pour tout le monde. Je sais qu’ils rendent fous, mais calmez-vous, ça va aller. » Quand la femme a appelé mon numéro, j’ai fait signe au Monsieur de passer : « c’est à lui. » Il m’a remercié du fond des yeux… Par contre, la dame au guichet, elle, a commencé à en prendre plein les oreilles. « J’habite à Saint-Denis, SAINT-DENIS, et cela fait six mois que vous me surfacturez ! Vous savez combien ça m’a couté d’appeler votre hot line ! Tout ça pour quoi ? Votre technicien avait dit qu’il passait, Il est jamais passé ! »

C’était une jeune « beurette ». D’ailleurs. Tous les gens qui bossent sont visiblement issus des «  minorités visible », comme on dit, ou des quartiers populaires, ou des deux. Logiques. Il faut vraiment avoir peur qu’aucune boîte ne vous rappelle en voyant votre nom sur un CV pour accepter un job aussi ingrat : vous faire hurler dessus toute la journée par des clients furieux, tout en devant défendre les couleurs d’une boîte qui vous traite, elle aussi, comme une merde…

« Suivant !»

Cette fois, c’était mon tour d’y aller. La jeune femme en face de moi ne me regardait pas, elle attendait que je me déverse, comme tous les autres, J’ai essayé de me décontracter, de présenter la chose avec humour. Mais l’humour, même le plus absurde, est parfois dépassé par la réalité.

« Je comprends bien, madame, mais ici, c’est une boutique Noos. Nous ne réglons pas les litiges.

- Mais alors, vous faites quoi ?

- On ne fait que vendre. Pour les litiges, il faut appeler la hot line.

- Mais je ne peux pas appeler la hot line, je n’ai plus le téléphone et ça ne marche pas d’une cabine !

- Je sais bien, madame. Avant, on avait des cabines pour joindre le service clientèle à l’intérieur des boutiques, mais ils nous les ont enlevés.

- Mais vous, vous pouvez les appeler !

- Non, madame, je n’arriverais pas mieux à les joindre que vous…

- Bon, écoutez, ca suffit, je me désabonne. On arrête tout. Je veux résilier mon abonnement à Noos.

- Pour ça, madame, il faudra écrire avec accusé réception au service résiliation. Nous, on ne fait que vendre…

- Ah, bon, vous ne faites que vendre…

- Oui, et en plus, je vois que vous avez souscrit cet abonnement il y a plus de trois mois. Or il est spécifié dans votre contrat que, passé trois mois, si vous n’avez pas résilié votre abonnement, vous êtes contrainte de rester chez Noos deux ans…

- Quoi ! Mais je ne savais pas. Et mon forfait qui n’a jamais marché !

- Il faut écrire au service concerné, madame, nous, on ne fait que vendre… »

En rentrant chez moi, tout au long du chemin, je me voyais voler une voiture et défoncer leur vitrine avec. Il paraît que plusieurs clients ont déjà essayé. En tout cas, c’est ce que les gens se racontent dans les salles d’attente des boutiques Noos pour se défouler.

Ne dites plus forfait passion, mais forfait dépression.

J’ai fini par craquer. J’ai épuisé tout mon forfait en appelant, depuis mon portable, leur putain de hot line (0,34 euro la minute) ! Je suis enfin tombée sur un type compétent qui m’a fait éteindre et rallumer ma boîte plusieurs fois, et qui a fini par faire sonner ma ligne fixe. En fait, Noos m’avait attribué un nouveau numéro, mais personne ne m’avait prévenue. La ligne était activée, mais le boitier n’était pas branché sur la bonne ligne. Et puis, surtout, depuis trois mois. Noos me facturait…

 Le gars de la hot line m’a conseillé d’écrire au service clientèle pour me faire rembourser.

J’ai écrit, trois fois, avec accusé réception. J’étais prête à laisser, à ne plus réclamer ni le remboursement de la ligne fantôme, ni les 100 euros et quelques de hot line. Ils m’avaient eu à l’usure, ils m’avaient vidée. J’avais des milliers de choses à faire, des gens à voir, je voulais retourner vers

la vie. Et oublier Noos. A tout prix.

Lorsque j’ai reçu ma facture… 100 euros plus la hot line. Alors que le « forfait tout compris » n’est que de 49.30 euros… Et cela faisait deux mois qu’ils me surfacturaient de 50 euros par mois ! Il fallait que j’y retourne ! Pas à République. Puisqu’ils ne font que vendre. A

la cours Saint-Emilion.

Des initiés avaient fini par me refiler le tuyau. C’est là, dans cette boutique, à deux pas des caves à vin de Bercy Village, que les litiges se réglaient. Il faisait beau. La queue était longue, mais j’ai pris un numéro, je suis allé faire un tour, et je suis venue reprendre ma place juste à temps. Le monsieur à tripatouillé mon compte, entendu tout ce que j’avais à lui dire, puis il a reconnu que l’on me surfacturait. Mais qu’il ne pouvait rien faire, si ce n’est le signaler…

« Cette fois, ca suffit. J’arrête les frais. J’arrête tout. Je résilie. Et je fais un procès si vous invoquez la clause des trois mois ! »

Le monsieur m’a répondu calmement qu’il ne faisait que prendre en note les litiges, mais qu’il ne pouvait pas résilier. Pour cela, il fallait écrire, avec un accusé de réception, au service concerné. J’ai écrit une lettre de quatre pages. Je me suis sentie libérée. Mais ils ne m’ont jamais répondu. Et, entretemps, j’ai reçu une nouvelle facture… de 100 euros. Je les hais.

La télé fonctionne toujours. Je tombe régulièrement sur ces pubs pour les renseignements téléphoniques auxquelles personne ne comprend rien… A la rentrée, c’est décidé, s’ils n’ont toujours pas daigné me répondre, je balance leur putain de boîtier à la mer et je fais opposition sur mon compte pour leurs virements. Je n’aurais plus de téléphone fixe, plus d’e-mails, plus de télévision, je serai libre, enfin ! Au fond, je crois que j’en rêvais. Noos l’a fait.

Si vous aussi vous cherchez un moyen de mettre en application vos convictions en matière de décroissance, allez chez Noos. Et abonnez vos amis. En moins de trois mois, ils deviendront les meilleurs ennemis du capital et de la privatisation. Ils fumeront des fils de téléphone et balanceront des postes de télé depuis leur fenêtre. En revanche, pour coordonner une action globale contre le grand capital, sans Internet, ce n’est pas gagné… Les salauds, ils ont pensé à tout !

Charlie hebdo Caroline Fourest mercredi 16/08/2006

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